La culture Allemande est-elle plus propice à la diffusion du Lean ?
Si Porsche existe encore aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont décidé de prendre la voie du Lean dans les années 91/92.
Le Lean a sauvé l’entreprise. Ils s’y sont lancé “corps et âmes”, radicalement, sans demi-mesure.
Vous ne le saviez pas ? Moi non plus avant de lire le bouquin de Womack & Jones “Système Lean – Penser l’entreprise au plus juste”
Certains d’entre vous savent aussi que je suis intervenu quelques mois au sein de l’entreprise Fenwick (Groupe Linde Kion) qui produit des matériels de manutention à Châtellerault. Probablement du fait que le groupe Linde soit aussi allemand, la direction du site a obtenu d’être accompagnée quelques semaines par les consultants Lean de Porsche. C’était en 2007, il me semble.
Dire que le choc des cultures a été terrible est encore … bien loin de la réalité.
Mais finalement, la culture est-elle si importante pour devenir Lean ?
Beaucoup vous diront “non”. Ils soutiennent que les outils du Lean s’appliquent indifféremment dans tous les types d’activités, d’entreprises et de cultures.
C’est vrai ! Et je partage cet avis. Mais il serait réducteur de “cantonner” le Lean à ses outils et méthodes. Il y a aussi une composante … MANAGEMENT !!!
Et elle n’est pas de moindre importance, croyez-moi, je le vis tous les jours.
Et là, me dire que le management n’est pas influencé par la culture de l’entreprise comme par celle du pays … je crois davantage au père Noël.
Vous en voulez la preuve irréfutable ??!!!
Je vous propose d’aller aux portes du paradis. Nous sommes allés interviewer Saint-Pierre !
Le témoignage de Saint-Pierre ! 😉
Merci à Bertrand pour cette blague vraiment savoureuse. Pour info, il l’a trouvée sur le blog très sympa d’une expatriée française en Allemagne.
Un type meurt sur la frontière franco-allemande, quand il arrive au ciel pour le jugement dernier, Saint-Pierre lui dit:
– Bon votre vie sur Terre, pas terrible, quelques adultères, pas souvent à la messe, des blasphèmes, etc… Je ne peux pas vous faire entrer au paradis, mais comme vous n’avez rien commis de grave, et que vous êtes mort sur la frontière, je vous laisse le choix entre l’enfer allemand et l’enfer français.
– Mais Saint Pierre, je ne connais ni l’un ni l’autre, pourriez-vous m’en dire un peu plus ?
– Et bien, dans l’enfer allemand, on vous met dans une grande marmite pleine de purin, des petits gnomes très vilains qui sentent mauvais mettent des bûches sous la marmite, un dragon vient allumer les bûches et vous cuisez toute la journée. Et c’est tous les jours pareil !
– Et l’enfer français ?
– Et bien, dans l’enfer français, on vous met dans une grande marmite pleine de purin, des petits gnomes très vilains qui sentent mauvais mettent des bûches sous la marmite, un dragon vient allumer les bûches et vous cuisez toute la journée. Et c’est tous les jours pareil !
Mais, si vous voulez un bon conseil, je serais vous, je choisirais l’enfer français.– Mais, Saint-Pierre c’est exactement la même chose !!!
– Non non, pas du tout ! Car dans l’enfer français :
- un jour les gnomes sont en grève,
- un jour on n’a pas livré les bûches,
- un jour le dragon est en RTT,
- un jour il est en congé maladie,
- un jour ils ne trouvent plus la marmite,
- un jour on n’a pas commandé le purin…
Vous trouvez que cela fait cliché, que c’est une caricature … et pourtant …
Et dans la vraie vie ?
Dans la vraie vie, … témoignage de H, patron d’un PME (usinage). Il raconte :
Un jour, j’ai eu la chance de pouvoir visiter un concurrent direct en Allemagne. La boite faisait la même chose que nous. Les clients étaient “les mêmes”, les machines étaient similaires (un peu plus récentes), le nombre d’employés similaire aussi. J’en ai profité pour emmener deux chefs d’équipes. Je me doutais que nous allions être surpris. Cela a été plus que le cas…
Lorsque nous sommes entrés dans l’atelier, ce qui nous a sauté aux yeux c’était la clarté et la propreté.
Tout était identifié, rangé et propre. Les sols, les murs et les machines étaient de couleurs claires. Sur le sol, il n’y avait ni copeaux ni huile. Les gars avaient tous des blouses et des chaussures de sécurité assez propres. Pourtant, c’était bien un atelier; pas le show room d’un fabricant de machines-outils …
Les 5S étaient devenus une seconde nature. A un moment, nous avons discuté avec un apprenti d’une quinzaine d’années. La méthode 5S … il l’avait étudiée en cours à l’école …
Nous étions tous les trois scotchés !!!
Et ce témoignage n’est pas unique …
Pour la petite histoire, j’ai sauté sur l’occasion pour lui “piquer les fesses” et lui demander “Qu’est-ce qui t’empêche de faire pareil chez toi ?”.
Nous avons un train, une génération, … en fait, 30 ans de retard
Oh, je vous entends d’ici ! Vous allez me dire que ce n’est pas partout pareil, que les Allemands “après 17h y a plus personne”, qu’ils sont psychorigides et que nous, français, sommes des Mac-Gyver en puissance, que ce n’est pas notre faute, que les politiques nous mettent des bâtons dans les roues, … BLA BLA BLA BLA BLA .
Et moi je vous réponds : SI ! C’est partout pareil !
Les rares fois où j’ai rencontré des PMEs différentes (dont une très récemment), c’est parce qu’elles faisaient partie d’un groupe dont les actionnaires sont Allemands ou Suédois.
Et dans ces boîtes, les managers le disent tous : “Nos dirigeants ne sont pas tendres, ils savent compter, mais nous sommes écoutés, encouragés et l’amélioration continue fait partie de leurs préoccupations premières. En fait, ils investissent dans l’organisation et la formation des personnes au même titre qu’ils investissent dans une nouvelle machine-outil.”
Venez avec moi sur le terrain et vous constaterez le nombre de patrons de PME qui n’ont jamais entendu parler des 5S. Et lorsque, par chance, vous rencontrez un apprenti … il en a vaguement entendu parler en cours, … mais bon, c’est en cours, pas dans la vraie vie !
Ce qu’il faut retenir
Je pense sincèrement, profondément, que notre culture française actuelle (mais il n’y a pas qu’en France, je vous rassure, 😉 ) est un frein au changement. Ce changement est nécessaire à notre évolution et à notre adaptation au monde qui nous entoure. Oui, je parle bien de mondialisation. Ce n’est pas un gros mot.
La mondialisation est vue par beaucoup d’entre nous comme une menace. Nous avons tendance à nous recroqueviller sur nous même, là où il faudrait s’ouvrir et voir la mondialisation comme une formidable source d’opportunités.
À l’heure où j’écris ces lignes, le Front National est en tête dans beaucoup de régions. Ce n’est plus simplement un vote sanction. La première des motivations au vote FN est la demande d’un “changement réel et perceptible“. Malheureusement, je pense que le changement porté par le FN va plutôt dans le sens du “repli sur soi” (protectionnisme) que dans le sens de l’ouverture … mais ça, c’est un autre débat et il n’a pas sa place ici.
Or, c’est là où “le serpent se mord la queue”. Le Lean peut faire évoluer la culture de l’entreprise. Par là même, il fera aussi bouger “nos schémas mentaux” et nos perceptions. Et ces évolutions permettront une meilleure diffusion des principes du Lean dans nos entreprises et dans nos sociétés.
Le Lean permet de passer du
cercle vicieux au cercle vertueux
Le but de ce blog, n’étant pas de vous faire basculer dans une déprime aussi contagieuse qu’inutile, je voudrais terminer sur une note positive.
Tout doucement, j’assiste à une prise de conscience collective et je rencontre beaucoup de boîtes (et donc de boss) qui ont envie d’avancer. Confrontées au Lean, elles ouvrent parfois les yeux sur une réalité brutale et déconcertante… mais toujours, toujours encourageante et prometteuse.
Alors, ne baissons pas les bras ! Je compte sur vous !
Vous avez tout à fait le droit de ne pas être d’accord avec moi. Dites-le !
Bonjour Eric !
Merci pour cet article, je les lis tous avec beaucoup d’attention mais je les commente rarement (Bouhh!).
Ce qui me vient à l’esprit après la lecture, ce sont également les médias et « journalistes » qui vont nous faire des reportages sur le Lean pour expliquer à quel point c’est du taylorisme.
L’opérateur qui est devant sa télé à 20h50 va voir ce reportage et se dire que le Lean c’est Taylor, le 5S fait parti du Lean donc CQFD le 5S c’est du Taylorisme.
Comment dans ces conditions (car je suis consultant en Lean notamment) peut-on changer les mentalités en entreprise lorsque l’on fait des projets d’amélioration ?
Merci à ces « journalistes » qui ne sont pas aller au coeur du sujet pour expliquer la PHILOSOPHIE du Lean et ce sont seulement arrêter sur les outils.
Je pense qu’un opérateur allemand sera bien plus ouvert à la démarche avant même le démarrage d’un projet type 5S.
Qu’en pensez vous ?
Alexandre
Bonsoir Alexandre,
Je vous remercie pour votre commentaire (cher collègue).
Je comprends votre frustration. Le Lean a tellement été dévoyé pour, au final, ne faire que du CanadaLean (cela à la couleur du Lean, ça ressemble au Lean …). C’est quelque chose qu’on retrouve souvent dans les grandes entreprises et les grands groupes.
Je pense même qu’il y a un rapport entre CanadaLean et gouvernance. Plus le top management est « financier » plus on verra de Canadalean. Plus le top management est industriel, plus on s’approche du vrai Lean.
Il est vrai que certains documentaires sont exclusivement à charge. Les journalistes font ce qu’ils peuvent. Mais lorsque vous prenez conscience que peu de personnes comprennent ce qu’est le Lean (et je me mets dans le lot), on ne peut guère leur en vouloir de confondre Lean et Taylorisme.
Et puis qui croire ? Des consultants et des patrons qui disent que c’est super, ou la CGT/SUD (entre autres) pour qui le Lean est le diable.
Personnellement, lors de présentations et sensibilisations, j’aborde le sujet. Sans langue de bois. Je reconnais que mal appliqué, le Pseudo-Lean peut faire beaucoup de dégâts, et ce, très rapidement. Mais j’explique … et je démontre aussi pourquoi la CGT n’est pas tout à fait honnête dans son argumentaire.
Toutefois, je note très progressivement un changement de cap. Par exemple, la Carsat qui avait une très mauvaise opinion du Lean est moins catégorique aujourd’hui. Notamment lors de l’implantation en PME.
On voit poindre des reportages plus “équilibrés” et moins “à charge”.
Il faut du temps, de la patience, de la sagesse …
Par contre, je partage votre avis. Un opérateur allemand sera, je le crois, plus ouvert à ce type de démarche.
Probablement parce qu’en Allemagne, les patrons ne sont pas vus comme des “salauds” d’exploiteurs, et que le terme productivité n’est pas un gros mot.
Mais cela bouge dans le bon sens … même si on voudrait que cela bouge plus vite (eh oui, gourmand je suis 😉 ).
Encore merci, Alexandre, pour votre intervention.
Bien cordialement,
Eric
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