Lean n’est pas une destination !
Cette phrase, “Le Lean est un voyage, pas une destination”, est celle qui me sert d’introduction lors de ma présentation des principes et concepts du Lean à des néophytes.
Bien entendu, je prends le temps de l’expliquer. Mes arguments sont simples. Ils semblent convaincre …
Mais comme bien souvent avec le Lean, mes auditeurs n’en comprennent vraiment le sens qu’après quelques mois, voire quelques années, de pratique.
Pendant longtemps j’ai jugé que cette compréhension tardive était un frein au déploiement d’une démarche Lean. Avec du recul, je me dis aujourd’hui que c’est peut-être une chance …
La croyance de base
Beaucoup voient l’amélioration comme une asymptote horizontale plafonnée par un niveau idéal imaginaire.
Dans ce premier schéma, les premiers efforts apportent beaucoup de gains pour peu d’effort. Avec le temps, les gains se tassent et ne sont plus significatifs. On est “arrivé”. C’est la destination … à atteindre. Sous-entendu, tout sera parfait, il n’y aura plus rien à faire …
En réalité, ce n’est pas exactement ce qu’il se passe. Plus votre organisation apprend en résolvant ses problèmes, plus elle progresse, plus elle deviendra précise et rigoureuse. C’est en grande partie ce qui apporte un surplus de performance globale.
Dans ce cas, avec le temps, une petite amélioration apportera à l’ensemble de l’organisation bien plus de performance que la même amélioration dans une entreprise n’ayant pas emprunté la voie du Lean. C’est aussi pour cela que Toyota reste “devant” …
La courbe ressemble alors plutôt à :
Seconde croyance
Lorsqu’on débute une démarche Lean, un grand nombre de problèmes font surface.
Afin de prioriser les axes de travail, un diagramme Pareto est utilisé pour classer ces problèmes par occurrence (nbre de fois où ils se produisent) ou par impact (importance du pb).
Généralement, l’organisation s’attache alors à régler le premier problème, puis vient ensuite le second, puis le 3ème etc., etc.
NOTA : Il est parfois judicieux de régler un tout petit problème dans la queue du Pareto si celui si est très facile à résoudre et demande très peu de temps et d’énergie. Par exemple, mettre trois bannettes au lieu d’une pour mieux classer certains documents, changer une étiquette sur un Rack, car elle est devenue obsolète, …
La croyance générale est la suivante :
“Lorsque nous en serons à résoudre les petits problèmes de la queue du Pareto, c’est que les gros problèmes seront résolus et la situation sera confortable; nous serons “peinards” !”
Rien n’est plus faux ! En effet, lorsque les plus gros problèmes du Pareto seront résolus, vous vous y habituerez et votre attention se portera avec la même force sur les problèmes suivants.
En permanence, je répète à mes clients :
Les petits problèmes d’aujourd’hui sont les grands de demain
En fait, votre Pareto ne change jamais de forme. D’abord parce que dans nos esprits, un problème négligeable aujourd’hui deviendra un problème important demain; ensuite, parce que de nouveaux problèmes apparaitront.
Ces nouveaux problèmes ne sont simplement pas détectés ou détectables à ce jour, ou sont la conséquence des changements divers qui interviennent dans le monde qui nous entoure. Ils peuvent aussi devenir visibles au fur et à mesure que l’on progresse et que l’on comprend mieux la situation. Je pense notamment à certains comportements ou attitudes dont l’importance vient à nous sauter aux yeux avec le temps …
Ce qu’il faut retenir
Bienvenue dans le monde de la frustration !!!
Quoi que nous fassions, nous n’aurons jamais “l’esprit en paix” !
Nous ne serons jamais satisfaits, il y aura toujours quelque chose qui nous agace, qui nous énerve.
Bien sûr, nous aurons beaucoup progressé. Et c’est bien là l’essentiel !!!
Mais notre esprit sera toujours tourmenté, car naturellement l’homme regarde plus devant (ce qu’il reste à faire) que derrière (ce qui a été fait).
Plus nous apprenons, plus nous voyons de choses à apprendre.
Plus nous améliorons, plus nous voyons de choses à améliorer.
Je conclus donc en disant :
Comme la connaissance,
l’amélioration est infinie !!!!
Le lean est un voyage, pas une destination …
Comprenez-vous pourquoi je pense que la compréhension tardive de cette affirmation est une chance ?
Allez expliquer à un patron qui veut se lancer “dans le Lean”, que sa boite sera plus rentable, sera pérennisée, que ses collaborateurs seront plus performants tout en étant plus sereins … mais que s’ouvre à lui un univers dans lequel la frustration sera toujours aussi présente et intense, et les efforts aussi nombreux …
Il faut quelques années d’efforts soutenus, de doutes, de découragements et d’adversité pour grandir et gagner en humilité et en sagesse …
Il faut quelques années pour prendre goût à l’effort Lean
Et vous, qu’en pensez-vous ?
PS: Je dédie cet article à tous ces patrons de PME courageux et persévérants qui me font confiance …
Bonjour Eric,
Je présente aussi le Lean comme un voyage et non comme un but. Le but c’est l’excellence ! Le Lean n’est qu’un des voyages qui permettra de nous rapprocher de cette excellence.
Et cela s’applique à chaque outil d’amélioration continue.
Faire du SMED n’est pas un objectif. Baisser les stocks en produisant un peu tous les jours de toutes les références est l’objectif.
Faire du 5S n’est pas un objectif. Faciliter les flux et accroitre la performance sont les objectifs.
Le Lean (ou quète de l’excellence) est donc bien un voyage, mais un voyage sans fin car l’excellence d’aujourd’hui sera la performance standard de demain. En effet, les marchés, les concurrents, les produits, les technologies vont s’adapter pour être de plus en plus performants. A nous de nous transcender pour pousser toujours plus loin notre niveau de performance et garder une avance sur les autres…
Bonjour Gauthier,
je vous remercie pour avoir pris le temps de lire l’article et pour avoir aussi pris le temps de laisser un commentaire.
Ce coup-ci, ma réponse ne va pas être longue.
Je n’ai rien à ajouter !!! Je partage ce que vous dites. Nous sommes sur la même longueur d’onde. 🙂
Bravo pour votre apport.
Au plaisir de vous lire à nouveau.
Très cordialement,
Eric
Salut Eric,
Merci pour cet article trés intéressant. Je prends un peu temps pour apporter un petit commentaire. Mon train a été annulé donc j’ai du temps 😄. Autant le rentabiliser.
Tout d’abord, merci pour le rappel sur la première croyance qui a la vie dure et qui permet aussi et surtout à l’être humain après une phase d’amélioration et donc après une phase de remise en cause de son quotidien, de retomber dans sa routine et sa zone de confort. On a bien bossé et on ne va de si tôt remettre en cause notre façon de faire 😊. Pourquoi on le ferait? On est à l’objectif (que les autres services bossent aussi un peu 😁).
Sur la deuxième croyance, la logique pure ou comptable plus souvent 😊impose de s’attaquer aux problèmes les plus impactants. La loi de moindre énergie s’applique: en jouant sur ces causes leviers, pour un effort identique donné, l’effet sur le problème final sera plus important que pour une cause dans la queue. Et c’est logique. On minimise les gaspillages ou maximise l’investissement selon le point de vue de celui qui parle.
Par contre, il convient aussi et en même temps de s’attaquer aux petits problèmes récurrents peu impactants. Les grosses causes touchent souvent au « process » de façon générale. Pour les petites causes récurrentes, il s’agit souvent d’irritants terrain. Comme tu l’écris fort justement la solution est parfois hyper rapide et simple et peu coûteuse. Et surtout, si on travaille sur une problématique donnée pour l’améliorer, les gens de terrain ne vont clairement pas comprendre qu’on n’améliore pas de suite ce qui peut être fait pour 2 francs six sous. Avant de bosser sur ce qui peut les dépasser et ressembler à une réunion d’experts, ils vont penser et c’est normal : »qu’ils commencent déjà par le « début ». Leurs vision du début. N’oublions pas que les gens sur postes ou en atelier ont leur vision du travail: souvent une vision au mieux à la semaine, sinon au lendemain ou à la journée. Alors travailler sur le process, cela ne va pas pour beaucoup vraiment leur parler. Sans compter que parfois ces irritants sont réglés en local avec des pansements donc sans éradiquer la cause racine (et souvent en aveugle de leur manager), parfois en jouant avec les limites de la sécurité ou de la qualité produit. On désactive une fonction machine qui ne semble pas nécessaire ou ne semble pas à valeur ajoutée ou on passe sur une tache ou on coupe une sécu qui saute tout le temps etc…).
S’attaquer aussi aux petits irritants de la queue de Pareto c’est une façon de venir en aide au terrain et de les impliquer dans la résolution du problème sous les feux de la rampe.
On ne sait que trop bien que si le management écoutait plus souvent le terrain, il verrait le terrain autrement et le comprendrait autrement. C’est aussi une occasion dans certaines entreprises de redonner du lien entre manager et le terrain.
On a déjà eu l’occasion de discuter de ta vision très vraie :
« Plus nous apprenons, plus nous voyons de choses à apprendre.
Plus nous améliorons, plus nous voyons de choses à améliorer »
Mais mon moral a un moment chuté fortement sur la frustration à venir 😂 quand on aura avancé sur le chemin. Je ne m’en rendais pas compte car je ne connais encore d’entreprise suffisamment loin sur le chemin du lean pour m’illustrer ça. Je comprends mieux ce que cache le fameux « bienvenue aux problèmes » ou « chaque problème est une opportunité de s’améliorer » 😉
A+
Fred
Salut Fred,
je te remercie pour ton apport avec ce commentaire qui montre l’intérêt de s’attaquer aussi aux “irritants” de la queue du Pareto.
Important le fait que l’horizon temporel d’un opérateur n’est pas le même que celui du management (notamment top management). Aussi, le fait
de travailler la queue de Pareto permet effectivement de ramener du concret, là, tout de suite, sur le terrain, alors que parfois avec les têtes de Pareto,
l’analyse prend du temps et le terrain ne voit pas d’effets avant plusieurs semaines ou mois.
Je réfléchis en faisant ce message. J’ajouterais que parfois il y a autant à apprendre de la résolution d’un petit problème (queue de Pareto) que de celle
d’un gros problème (tête de Pareto).
Après … et tu n’es que trop bien placé pour le savoir … face à 10 problèmes, on gère … face à 50 000 pbs (comme tu peux le rencontrer dans ta boite),
on est obligé de faire des choix. Par ailleurs, l’investissement temps pour régler les têtes de Pareto prend parfois le pas sur tout le reste …
Pour finir, si tu ne veux pas te décourager, pense au Colibri qui fait sa part. Tu ne bougeras pas le Mamouth à toi tout seul. Prends
les petites victoires où elles sont … souvent sur le Gemba …
Et n’oublie pas que tu fais partie d’une “communauté Lean” dont chaque membre est un Colibri.
A+, Fred.
Eric
Salut Eric,
Oui je te rejoins complètement. Il y a autant à apprendre de la résolution d’une petite cause de la queue que d’une grande cause de la tête.
Sur cette thématique, j’ai la chance et la bonne surprise dans mon entreprise de voir des petits collectifs terrains qui s’attaquent (sans les chefs) à la résolution de gros problèmes; ce qui reste plutôt atypique et nouveau sur ce que je connais de notre paysage lean en France.
Tu aurais troqué l’image de la petite fourmi pour celle du colibri 😉
A+
Fred