Mais c’est vrai à la fin ! Y’en a marre …
… de tous ces consultants qui viennent nous “expliquer” ce qu’est le Lean, mais qui en fait ne parlent que de …
… BON SENS !!!
Au premier abord … ce n’est pas faux. Je vous invite à relire la blague sur “le consultant et le berger”. Même après des années, elle me fait toujours autant rigoler.
Deux exemples vécus sur le terrain
Je me souviendrai toujours de cet exemple. Je l’ai d’ailleurs déjà évoqué succinctement.
Il y a quelques années, je terminais un chantier de progrès au sein d’une entreprise fabriquant du mobilier pour les bars et restaurants.
Lors du débriefing en présence du patron, nous présentions ce qui avait été fait et j’insistais sur quelques préconisations …
Soudain, je vois le patron perplexe. Je m’interromps et lui demande :
Eric : “ M. X, je vous sens perplexe. Qu’est-ce qui vous tracasse ?”
M. X. : “ Eric, ok vous avez fait du bon boulot avec l’équipe et j’en suis satisfait. Mais je vous écoute depuis un moment … et tout ce que vous nous dites … ce n’est que du bon sens.”
Eric (un peu surpris) : “En effet, c’est du bon sens …”
M. X. (un peu gêné) : “ Eric, pour du bon sens … je ne paie pas un consultant.”
Nota : Beaucoup de patrons croient que les consultants vont leur apporter “la méthode miracle”. Je vous invite à relire l’article “Monsieur le consultant, faites un miracle”
Eric : “M. X., vous avez raison, mais si ce n’est que du bon sens, pourquoi tout ce que nous évoquons n’est-il pas déjà appliqué dans votre entreprise ?”
M. X. a souri. Il a compris. Nous ne parlions pas que de bon sens … Nous avons continué le débriefing et avant de partir, il m’a dit “Concernant le Lean, … je suis le premier concerné, n’est-ce pas ?”.
J’ai acquiescé.
Le second exemple de terrain, je l’ai vécu très récemment.
Une entreprise recherche un consultant Lean pour les accompagner dans leur démarche. Après une première prise de contact, je leur propose de venir leur présenter le Lean de façon “light et ludique”.
La présentation terminée, nous discutons. Autour de la table, quelques-uns étaient convaincus, d’autres s’interrogeaient, d’autres encore n’étaient pas convaincus.
L’un de ces derniers m’interpelle :
M. X. : “M. Calmettes, tout ce que vous venez de nous présenter, c’est très intéressant, … mais pour finir ce n’est que du bon sens ! Nous ne vous avons pas attendu pour réfléchir et améliorer notre organisation. Par exemple, nous avons fait … , et nous n’avons pas eu besoin du Lean pour le faire !”
Eric : “M. X., je comprends vos doutes. Le Lean peut paraître comme du simple bon sens de premier abord. Mais revenons à l’action que vous avez menée. C’est du bon sens, nous sommes d’accord ?
M. X. : “Oui absolument, c’était une action simple, pleine de bon sens. Et nous l’avons mené a bien sans l’aide de personne et … sans le Lean !”
Eric : “Bravo, je ne peux que féliciter l’équipe. Et cela a-t-il amélioré la situation ?”
M. X. (assez content de lui, à l’idée de me piéger) : “Oui, tout le monde le reconnaît.”
Eric : “ C’est super ça ! Par cette simple action, pleine de bon sens, vous avez amélioré la situation. De combien ?”
GROS SILENCE DANS LA SALLE !!!
M. X. (un peu en mode panique) : “Bin, je sais pas moi ! Je n’ai pas mesuré, j’en sais rien. Les gars m’ont dit que c’était mieux …”
Nota : je ne peux que vous inviter à relire l’article “Speak with Data”
Eric : “M. X., percevez-vous que le Lean n’est pas seulement “que du bon sens” ?”
Lui aussi a souri. Et il n’était pas le seul autour de la table …
Pourquoi le Lean n’est-il pas que du bon sens ?
Peut-être est-il bon d’abord, de se mettre d’accord sur la notion de bon sens.
Le bon sens relève d’une affirmation ou d’un jugement accepté par tous.
Mais alors, pourquoi n’est-ce pas suffisant ?
Ce n’est pas suffisant pour une raison très, très simple :
Votre bon sens n’est pas le mien !
En effet, bien que partageant la même affirmation ou le même jugement, nos seuils d’acceptation sont tous différents.
Nos “bons sens” ne sont pas alignés !
Par exemple …
Nous sommes tous d’accord pour dire :
“Un/une bureau/poste/chambre bien rangé(e) permet de retrouver ses dossiers/outils/affaires plus rapidement”
Nous sommes d’accord ? C’est du bon sens !
Alors, pourquoi lorsque je regarde le bureau de mon collègue, je trouve que c’est le bor… ? Il était bien d’accord avec moi lorsque nous en parlions à la machine à café durant la pause.
Intrigué, je lui pose la question et il me répond :
“Mais il est rangé !!! Je sais exactement où sont mes dossiers ! Là, c’est la pile de …, là, c’est la pile de … . Ok, tout n’est pas repéré, mais je m’en fous, puisque je sais où sont les choses. D’accord mon bureau n’est pas aussi rangé (il n’a pas dit “bien rangé” 😉 ) que le tien, mais moi, je ne pourrais pas bosser sur ton bureau. Je le trouve “glacial” et austère.”
Nous sommes tous d’accord pour dire :
“Rouler trop vite en voiture est dangereux”
Nous sommes d’accord ? C’est du bon sens !
Alors pourquoi je me sens plus en sécurité dans ma grosse Audi, avec 4 gros pneus et 4 freins à disque, à 150 km/h sur l’autoroute, que dans une “4L”, sur une départementale à 95 km/h ?
Nota : Habitués aux voitures d’aujourd’hui, essayez donc de conduire une “4L”. Il y a 4 freins à tambour. Lorsque vous appuyez sur la pédale de frein, vous avez l’impression d’appuyer sur un savon … et pourtant j’adore cette voiture … 🙂
Nous sommes tous d’accord pour dire :
“Faire des regroupements de production me fait gagner du temps de réglage et donc de l’argent”
Nous sommes d’accord ? C’est du bon sens !
Alors pourquoi, plus je fais de regroupements, plus mon BFR (Besoin en Fonds de Roulement) augmente … et ma tréso. diminue ?
Ce dernier exemple de “bon sens” est partagé par la plupart des patrons depuis le début de l’ère industrielle … enfin, tous ceux qui ne se sont jamais “frottés” au Lean ! 😉
Eh oui ! Bienvenue au club ! Le Lean est parfois “contre-intuitif” !
Qu’est-ce cloche ?
Il ne suffit pas d’être d’accord sur une affirmation ou un jugement, pour fonctionner de manière identique.
Une affirmation, un jugement sont des phrases constituées de mots flous. Elles ne donnent qu’un sens général et, s’il est partagé par tous, il est alors admis comme étant du “bon sens”.
Le bon sens n’est pas suffisant pour “aligner” les pratiques, les visions,
les perceptions et les compréhensions des personnes dans l’entreprise.
Le Lean permet cet alignement
CQFD ! Le Lean n’est pas que du bon sens !
Le Lean, c’est bien plus que du bon sens !
Et vous, comment préférez-vous piloter votre entreprise ? Bon sens ou Lean ?
Bonjour Eric,
votre article m’a fait me questionner : le « bon sens » est bien entendu primordial lorsque l’on veut mettre en place mais ce n’est pas sur ce point que je vais m’arrêter.
Ce « sens » doit-il être « individuel » ou « collectif » ?
J’ai tellement vu des combats de coqs entre ces deux types de bon sens que cette question reste encore d’actualité dans ma vie professionnelle.
Souvent, le bon sens individuel se heurte au bon sens collectif : le bon sens collectif me fait dire que je dois rester dans mes marques, dans ma fonction, dans mes prérogatives (ne pas outrepasser ma fonction) mais le bon sens collectif voudrait que chaque salarié participe à l’amélioration de sa société en mettant à profit ses talents et ses idées au service du bien commun.
De nos jours, le bon sens collectif est encore trop vite gangrené par les désirs individuels … c’est bien dommage.
Bonjour Alban,
je vous remercie pour votre commentaire.
Mon article vous fait réfléchir ? Tant mieux c’est le but et j’en suis ravi.
Vos commentaires me font réfléchir. C’est aussi le but et je vous en remercie.
Concernant le bon sens, je dirais simplement :
Si vous bossez tout seul dans “votre garage”, pas de problème, votre bon sens individuel est ce qui fait loi.
En revanche, dès que vous n’êtes plus seul, la dimension collective entre en ligne de compte.
Il faut alors trouver un bon sens collectif. C’est ce qui servira de référence et qui permettra aux différentes personnes de l’entreprise d’être alignées dans la même direction.
Or ce bon sens collectif, il n’existe pas forcément naturellement. Il va se construire progressivement, alimenté par des bons sens individuels.
Mais attention à deux choses :
1) Le nombre ne fait pas toujours sens. La minorité peut parfois avoir raison contre une écrasante majorité (la terre est ronde contre la terre est plate).
2) La construction du bon sens collectif passe par la conviction. Pas par la compromission. La conviction fait que “OK j’adhère, car mon point de vue a évolué au contact des arguments des autres et je deviens convaincu qu’ils ont raison”. Le compromis, c’est “je ne suis pas d’accord (et donc pas convaincu), mais je fais l’effort de me ranger à leur avis”. Toutefois, lorsque je suis seul, mon bon sens individuel reprend le dessus … et là, je ne suis plus aligné avec l’ensemble. Il y a alors de fortes chances pour que je devienne source de Mura, de Muri et donc de Muda.
La comparaison des bons sens individuels me paraît saine … mais les combats de coqs … ce sont des combats d’égos, pas de bon sens.
Bien cordialement,
Eric