Quelle chance … d’accéder à ce privilège !!!
Comme un entomologiste s’émerveille de la mue d’une chenille en chrysalide puis en un papillon qui prend son envol …
j’ai le privilège de voir une entreprise se métamorphoser sur la voie du Lean.
Je suis un entomologiste du Lean
Et croyez-moi, c’est un réel privilège dont peu de personnes peuvent réellement se prévaloir.
Parce que c’est rare, parce qu’il faut avoir le recul nécessaire pour s’en rendre compte, parce qu’en le vivant de l’intérieur on ne le voit pas.
Je rappelle que l’idée de ce blog est de :
“partager avec vous ma propre compréhension du Lean, en m’appuyant sur des exemples de situations concrètes que je rencontre “au fil de l’eau” lors de mes interventions sur le terrain (le Gemba)”
(voir ma page “l’Auteur”)
Alors, allons-y, partageons, partageons …
Ma chrysalide
Pour rappel, une chrysalide est un état intermédiaire dans lequel l’insecte n’est déjà plus une chenille, mais pas encore un papillon.
Ma chrysalide est une PME du nord de la France, d’environ 25 personnes et qui travaille dans l’industrie de la métallurgie.
J’ai longtemps hésité à la nommer, car je pense qu’elle mérite qu’on lui fasse de la pub, mais j’y ai renoncé pour ne pas être accusé de partialité. En effet, dans cette histoire, je suis juge et partie, puisque je suis rémunéré pour les accompagner dans leur démarche Lean.
Pourquoi est-ce une chrysalide du Lean ?
Comme je le répète souvent, le Lean est un voyage pas une destination. Aussi, aucune entreprise n’est jamais Lean.
Par contre une entreprise qui vole de ses propres ailes vers le Lean, j’entends de façon autonome, est un “Papillon Lean”.
Au démarrage est “l’entreprise chenille”. Vous la poussez, la tirez, l’agacez, l’engueulez (oui, oui, parfois 😉 ), lui “piquez les fesses”, mais aussi, l’éduquez, la formez, la rassurez, lui donnez du sens … pour quelle démarre son voyage Lean.
À ce stade, si vous arrêtez, tout retombe ! Dans cette phase le rôle du boss est primordial. Si lui n’est pas convaincu, si lui ne porte pas le projet … c’est cuit!
Puis, à force de petits projets plus ou moins réussis, de petites victoires, mais aussi de petits échecs, … le train démarre.
Plus le train avance et prend de la vitesse, mieux le Lean est compris et plus son potentiel se révèle.
La deuxième étape de la métamorphose est la “chrysalide Lean”.
Dans cet état le train Lean est en marche et l’entreprise a déjà constaté des progrès certains.
Elle commence à avoir certains réflexes Lean et à fonctionner en mode PDCA sans même s’en rendre compte.
La jolie petite histoire de ma chrysalide
Durant un accompagnement d’environ deux ans par le biais de l’action collective Lean portée par la CCI, l’entreprise a effectué plusieurs chantiers, réimplanté ses deux ateliers en fonction du flux et commencé le déploiement des 5S.
Devant certains résultats encourageants (et “sonnants et trébuchants”, mais si vous savez, … des pépettes, du blé, du flouze, 😉 ), le boss, Monsieur A, a souhaité confier la direction du site à un de ses proches collaborateurs de confiance, Monsieur T. Cela dans le but de pouvoir davantage s’occuper d’un second site et de reprendre une activité “plus commerciale”.
Cette première étape est importante, car le patron change de posture. Il passe d’un rôle de “patron commandant” à un rôle de “patron support”.
Devant ce challenge, son collaborateur Monsieur T (qui a accepté cette nouvelle mission) va devoir évoluer, progresser, grandir.
Quelques mois après, Monsieur A et Monsieur T, nomme un gars de l’atelier, Monsieur S responsable de production.
Là encore, gros, gros challenge pour Monsieur S.
Monsieur T se fait “pipoter”
Nous avons discuté de cette histoire il y a à peine trois jours. Vous voyez, comme le dirait …
c’est tout frais !
Le directeur d’établissement, Monsieur T, m’explique qu’il y avait 400 k€ de commandes clients sur le mois d’octobre.
Fin de semaine 3, il regarde le montant de la facturation pour le mois et là, surprise, seuls 200 k€ sont déjà facturés.
Par prudence, il va poser la question au nouveau responsable de production, M. S, qui lui dit que “ça va être ok”.
Or après un nouveau contrôle le 31 du mois, il reste environ 190 k€ à facturer pour atteindre les 400 k€.
Clairement, il ne sera pas possible d’atteindre le CA prévu. Retour vers le responsable d’atelier, M. S qui, un peu penaud, lui dit que, finalement, avec beaucoup d’effort ils parviendront à facturer entre 230 et 240 k€ pour le mois.
Bien évidemment, le directeur du site, monsieur T est …
FURAX de chez FURAX !!!
Mais ce qui a rendu T le plus furieux, n’est pas tant “le chiffre d’affaires” en retrait.
Il me dit : “Ce qui m’énerve, c’est que non seulement personne ne s’est inquiété, comme si personne n’était concerné, mais surtout, c’est que j’ai vraiment eu l’impression de me faire “Pipoter” .”
Monsieur T apprend à manager
Devant cette situation, T contacte son boss A pour lui expliquer les faits.
Même si le patron n’a pas été satisfait, il a eu la bonne réaction. Il n’a pas davantage affligé son directeur de site. Il l’a juste mis devant ses propres responsabilités et lui a demandé ce qu’il comptait faire.
Le directeur T “a bien eu les boules”. En fait, monsieur T a été vexé. Il s’est senti responsable et… il est effectivement le premier responsable de cette situation. C’est aussi pour cela qu’il a été si vexé …
Il est le premier responsable, car il n’a pas correctement piloté son activité. En ce sens, il n’a pas fait le travail pour lequel la patron A l’a nommé.
La réaction ne sait pas fait attendre !
Le directeur T a convoqué tous ses cadres : Commercial, Production, Achats, Qualité
Il a présenté la situation du mois d’octobre et a demandé :
POURQUOI ?
Quelques-uns ont tenté des explications … plutôt moins convaincantes qu’autre chose…
Comme me l’a dit T, j’en ai vu pas mal “se regarder les chaussures” …
En fait, devant T se présente un groupe de responsables, pas une équipe. Ce n’est pas une équipe de personnes matures, responsables et alignées, ce n’est pas une équipe qui fait corps dans la tempête, ce n’est pas une équipe qui rame dans la même direction.
Là, T s’en est rendu compte …
et il a bien réagi !
Il a décidé de construire un planning de rituels de “point de situation” avec chacun de ses responsables d’activité.
Un point par semaine. Chaque point ne dépasse pas 20 minutes. Les sujets et indicateurs abordés sont co-construits avec chacun des collaborateurs.
Lorsqu’un collaborateur rencontre un problème ou constate un écart par rapport à ce qui était prévu, j’ai demandé à T qu’il demande à son collaborateur d’apporter lui-même une piste, une idée, même un embryon de solution.
Ce qu’il faut retenir
Examinons les rôles et postures de chacun :
- Le patron A s’est contenu. Il n’a pas accablé T; il ne l’a pas “pourri”. Cela ne servait à rien puisque T avait déjà conscience de la situation. Au contraire, A a renouvelé sa confiance à son directeur de site T, notamment en lui demandant ce qu’il comptait faire.
Dans ce cas, A supporte T et l’aide à grandir.
Et lorsque A supporte T, il supporte aussi toute sa boite.
- Le directeur de site T a pris une claque. Celle-ci est d’autant plus dure qu’il comprend que c’est un peu lui qui se l’est mise par effet boomerang.
Mais la réaction de T est remarquable. Il a mis en place un standard de management (les rituels de point) qui va lui permettre de faire le Check du PDCA et d’améliorer grandement le pilotage de son usine. En effet :
Faire des points réguliers (une fois par semaine) permet d’identifier les dérives et d’y faire face, beaucoup plus rapidement qu’en attendant la fin du mois … lorsqu’il est trop tard !
Faire des points courts (20 minutes environ), oblige les acteurs à préparer les chiffres et à aller à l’essentiel. Du coup, ces points ne s’éternisent pas (réunionite) et ils ne prennent qu’une part minime de la semaine.
Lors de ces points, le pilotage de l’activité se fait en s’appuyant sur des faits, des données et non des impressions, ressentis et autres jugements.
Le fait de demander au collaborateur de proposer lui-même une piste de résolution lorsqu’une dérive est constatée, le challenge gentiment et donc le fait grandir en autonomie et en responsabilité.
C’est aussi une forme de reconnaissance.
Et n’oublions pas … qui est le mieux placé pour apporter des pistes de solution ? Le responsable de l’activité qui est au contact du Gemba (terrain) et est imprégné du contexte, ou le directeur de site qui a une vision plus lointaine de par sa fonction même ?
De plus, lorsque T demande des pistes, il s’appuie sur son équipe en la faisant travailler sur de la résolution de problèmes. Le fait de faire résoudre des problèmes à son équipe la fait grandir et progresser. En ce sens, T supporte son équipe, ses collaborateurs.
- Le responsable de production S s’est trouvé débordé et a davantage subi la situation qu’il ne l’a maitrisée. Le fait de devoir préparer des points de situation régulièrement va l’obliger à sortir du “mode pompier”, à “lever la tête du guidon” et à prendre de la hauteur.
Il aura donc une vision plus réaliste de l’état d’avancement de sa production sur le mois en cours. Ainsi, il pourra mieux la piloter.
Cela correspond au rôle qu’on lui a confié.
Conclusion
Le train du Lean est lancé …
Il roule. Un travail de fond est en train de se réaliser.
Dans cette entreprise …
la métamorphose Lean est à l’œuvre !
La route est encore longue, mais j’espère avoir un jour le privilège et le grand plaisir de voir le papillon s’envoler.
Et vous, votre boite, plutôt chenille ou papillon ?
ooooh quelle chance ! Ce sont les moments que je préfère : ceux où on touche du doigts que « quelques chose est vraiment en train de bouger ». Bravo !
Bonjour Sophie,
je vous remercie pour votre commentaire.
Je suis heureux de ne pas être le seul à avoir conscience de la chance que j’ai.
Oh bien sûr ce n’est pas parfait, il y aura encore beaucoup de matins maussades et de découragement
après des soirs d’euphorie de petites victoires …
Mais je le répète, un travail de fond se fait et de l’intérieur peu (ou même pas) de gens le voient.
Ils sont pris par le quotidien. Et le quotidien ce sont des problèmes à résoudre, toujours des problèmes
à résoudre, encore des problèmes à résoudre …
Il est alors très facile d’avoir l’impression de faire du “sur place”.
Mais moi, de l’extérieur, en observant les attitudes, comportements et réactions … je vois bien que quelque chose a changé.
Bien cordialement,
Eric